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Critique histoire de judas (2015) film de rabah ameur-zaïmeche

  • Réinterprétation de Judas : Le réalisateur Rabah Ameur-Zaïmeche propose une vision alternative du personnage de Judas, en faisant de lui un héros fidèle et loyal.
  • Décor époustouflant : Le film est tourné dans l'est de l'Algérie, offrant des paysages désertiques et des décors naturels sublimes qui renforcent l'ampleur tragique du drame humain.
  • Importance de la parole : La langue du film, les murmures et les sons prégnants créent une ambiance particulière où chaque mot a son poids. La parole est grave mais parfois teintée d'humour pour humaniser l'histoire sainte.

Rabah Ameur-Zaïmeche, réalisateur franco-algérien a réalisé cinq films, « Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe », sélectionné à Berlin en 2002, «  Bled number one » en 2006, « Dernier maquis » en 2008 et « Les Chants de Mandrin » en 2012. Le dernier, « Histoire de Judas », a reçu le Prix du jury œcuménique du Forum au Festival international de Berlin 2015.

Critique histoire de judas (2015) film de rabah ameur-zaïmeche

Dans notre culture judéo-chrétienne, Judas demeure à jamais celui des douze apôtres qui trahit Jésus en le livrant aux romains pour trente pièces d’argent. Son nom est devenu un substantif, « un judas », son geste une expression « le baiser de judas » pour désigner l’infamie de la trahison, même la petite lucarne qui nous permet d’observer sans être vus, depuis toutes nos portes, est affublée de ce nom maudit  !
C’est imprégné de cette lourde histoire qu’on aborde le film de Rabah Ameur-Zaïmeche.
Le titre du film « Histoire de Judas », sans article défini, ni même indéfini, nous propulse sur une autre voie …

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Une autre histoire

Le cinéaste s’affranchit résolument des évangiles. Partant du constat, aux côtés des chercheurs, que « la seule chose qu’on sait, c’est qu’on ne sait pas grand-chose de cette époque », il réinvente le personnage de Judas avec force et douceur, il en fait un héros. Refusant l’accusation calomnieuse dont Judas et les juifs ont fait l’objet durant des millénaires, terrot d’un anti-judaÏsme et d’un antisémitisme chrétien virulent et dévastateur, il estime la réhabilitation de Judas « nécessaire » et « urgente » pour qu’il « cesse de cristalliser la haine des juifs ».
Ici, il est question d’hommes, plus que de grands mythes, d’hommes simples. Au fil de séquences qui retracent la vie du jeune rabbin charismatique, Jésus, qui se déplace de ville en ville entouré de ses amis, Rabah Ameur-Zaïmeche dresse le portrait de son ami le plus fidèle, d'un autre Judas, disciple loyal et protecteur, frère dévoué corps et âme à son maître dont il défendra la parole au prix de sa propre vie.

Critique histoire de judas (2015) film de rabah ameur-zaïmeche #2

On oublie très vite l’histoire consacrée et on se laisse porter avec surprise et délice par ce regard singulier, subjectif, surprenant, porté par une mise en scène tout aussi ascétique que remarquable et puissante dans sa capacité évocatrice.

Un décor époustouflant, des tableaux vivants

Critique histoire de judas (2015) film de rabah ameur-zaïmeche #3

Tourné en décors naturels dans l’est de l’Algérie, en pays berbère, le film fuit toute reconstitution historique emphatique et approximative. Les paysages désertiques, les oasis vibrantes dans le vent, les ruelles et les maisons de terre battue, les ruines romaines, tellement symboliques, d’autres ruines plus humbles, sont d’une beauté à couper le souffle. Toute une palette de couleurs pures, violentes et contrastées, celles du sud, achèvent de nous emporter dans cet univers dont la rudesse et le dépouillement donnent toute son ampleur tragique au drame humain qui se joue là, pour l’éternité.

Critique histoire de judas (2015) film de rabah ameur-zaïmeche #4

Au début du film, la très belle séquence du henné, nous fait entrer dans un tableau de Rembrandt au son des youyous des femmes qui fêtent le retour de Jésus après son carême. L’image est somptueuse, bouleversante dans ses contrastes culturels, d’une beauté intense chargée de sens : le visage émacié et serein du Messie, à peine entrevu sous son châle, présence irradiante dans le clair-obscur des bougies, la femme doucement affairée dans un rituel méditerranéen ancestral … décalé et tellement émouvant. Séquence forte, il y en aura d’autres tout aussi picturales et stupéfiantes qui évoquent les grands maîtres, Caravage, Holbein notamment à la fin du film qui s’inspire du « Christ au tombeau ».

Critique histoire de judas (2015) film de rabah ameur-zaïmeche #5

Une voix

On est d’abord surpris par la langue du film, le français, (mais quelle langue choisir après tout  ! ) puis on oublie encore pour ne plus entendre que les murmures et les sons prégnants qui envahissent l’espace, celui du vent, de l'eau, des oiseaux, des insectes, de la musique berbère, quelques bribes de mots en arabe.
Le dialogue est rare, réduit à l’essentiel nécessaire, à la parole dont chaque terme a le sens juste et grave. Une parole jamais péremptoire qui renvoie toujours l’homme à sa propre conscience : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » dans la belle séquence de Bethsabée, la femme adultère. La parole est grave, certes, mais parfois pleine d’un humour qui humanise et dédramatise l'histoire sainte : lorsque Judas redescend la montagne en portant Jésus sur son dos, il lui dit : « Je t’aurais cru moins lourd après 40 jours de jeûne » pour s’excuser peu après « Tu es aussi léger qu’un papillon ».

Critique histoire de judas (2015) film de rabah ameur-zaïmeche #6

Rabah Ameur-Zaïmeche prête ses traits à Judas, son doux regard, son sourire et sa voix, celle d’un homme qui prononcera d’ailleurs le seul mot en hébreu du film, ô combien symbolique : « Shalom » = Paix, petit anachronisme tellement jouissif, puisque Judas parlait sans doute l’araméen. Son film parvient incontestablement à bouleverser tous nos a priori sur le sujet, son Judas si attachant efface en douceur l'anathème qui lui est attaché.

Belle voix d’un cinéaste musulman qui réconforte en nos temps agités, dont un jury "œcuménique", à Berlin, a honoré à juste titre, l’incontestable grandeur, l’incontestable portée.

"Histoire de Judas" sortira dans les salles le 8 Avril 2015.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site officiel du film.