Depuis 1993, les Français bénéficient d’une liberté accrue pour nommer leurs enfants. Pourtant, cette liberté n’est pas absolue. L’administration peut intervenir pour refuser certains prénoms jugés contraires à l’intérêt de l’enfant. Dans un pays où l’état civil reste un pilier du droit, les tribunaux doivent parfois trancher lorsque l’originalité franchit la ligne rouge.
Un encadrement légal précis
Le principe de liberté dans le choix du prénom est posé par l’article 57 du Code civil. Toutefois, la loi prévoit une limite : l’officier de l’état civil peut signaler au procureur de la République tout prénom qu’il considère comme étant “contraire à l’intérêt de l’enfant”. Ce dernier peut alors saisir le juge aux affaires familiales, qui statue en dernier ressort. Cette disposition est codifiée depuis la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993, consultable ici.
Concrètement, la liberté des parents trouve sa limite dans la protection de l’enfant contre les prénoms susceptibles de le stigmatiser, de porter atteinte à sa dignité ou de lui causer un préjudice futur.
Des prénoms célèbres recalés par l’état civil
Les refus de prénoms en France, bien que rares, donnent parfois lieu à des affaires médiatiques retentissantes. Voici une liste de prénoms ayant été refusés par les juges ou les officiers d’état civil :
| Prénom refusé | Motif du refus |
|---|---|
| Titeuf | Risque de moqueries en référence au personnage de bande dessinée |
| Fraise | Jeu de mots et moqueries possibles (“ramène ta fraise”) |
| Folavril | Inspiré d’une œuvre de Boris Vian, jugé fantaisiste |
| Nutella | Référence commerciale, risque d’atteinte à la dignité |
| Babord | Terme maritime, considéré comme ridicule |
| Tribord | Même motif que Babord |
| Joyeux | Jugé inapproprié pour un prénom |
| Patriste | Association étrange de “Patrick” et “Baptiste”, jugé ridicule |
| MJ | Initiales, absence de véritable prénom |
| Griezmann-Mbappé | Association abusive de deux célébrités |
| Clitorine | Référence sexuelle évidente, risque de moqueries |
| Mini-Cooper | Marque automobile, assimilée à une publicité déguisée |
| Anal | Connotation sexuelle grossière |
| Dilleur | Sonorité proche de “dealer”, préjugé social négatif |
| Jihad | Connotation politique et religieuse polémique |
| Fleur de Marie | Trop complexe et chargé, difficulté d’usage |
| Manhattan | Référence géographique, jugée inappropriée |
| Marie-Automne | Association jugée exagérément poétique |
| Bénéfice | Terme financier, inadapté à un prénom |
| Délaissé | Signification négative, pouvant porter préjudice |
| Gentil | Adjectif commun, confusion possible avec un surnom |
| Louis-Quatorze | Référence historique lourde de sens |
| Lucifer | Symbole du diable dans la tradition chrétienne |
| Nénuphar | Nom commun d’une plante, jugé peu approprié |
Pourquoi ces prénoms sont-ils refusés ?
L’objectif premier du législateur est de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant. Un prénom perçu comme ridicule ou péjoratif pourrait être une source de harcèlement scolaire, d’exclusion sociale, voire de souffrance psychologique.
Par exemple, “Nutella” a été refusé par le tribunal de Valenciennes en 2015 car il risquait d’attirer les moqueries. De même, “Griezmann-Mbappé”, choisi pour honorer deux joueurs de football français, a été jugé inapproprié en raison de son caractère encombrant et de la surcharge symbolique qu’il impose à l’enfant.
Les prénoms inspirés de marques commerciales, comme Mini-Cooper, sont systématiquement recalés pour éviter toute forme de publicité et protéger la neutralité du registre d’état civil. Quant aux prénoms à connotation religieuse ou politique sensible, tel “Jihad”, ils sont rejetés pour éviter les risques de stigmatisation.
Une surveillance qui reste exceptionnelle
Chaque année, quelques dizaines de prénoms font l’objet de signalements auprès des procureurs. Mais ces refus restent minoritaires par rapport aux milliers de naissances enregistrées. La plupart des prénoms atypiques ou originaux passent sans encombre, car les officiers de l’état civil veillent avant tout à repérer les cas manifestement problématiques.
Les limites de l’originalité
La tendance à l’originalité dans le choix des prénoms s’est renforcée au fil des décennies. Les parents veulent souvent se démarquer, rendre leur enfant unique. Toutefois, lorsqu’une créativité débordante risque de se retourner contre l’enfant, le législateur rappelle que l’état civil est aussi un instrument de protection.
Un équilibre entre liberté et protection
La France a fait le choix d’un encadrement souple, préférant le contrôle a posteriori plutôt qu’une liste restrictive de prénoms autorisés. Cette approche vise à respecter la liberté des familles tout en empêchant des dérives manifestes.
Le débat reste toutefois ouvert : où commence la liberté et où s’arrête la responsabilité des parents ? La prudence reste donc de mise pour éviter que le prénom d’un enfant ne devienne un fardeau dans sa vie sociale et professionnelle future.
